Conférence Jacques Delors 2025 : entre héritage et promesse, la jeunesse européenne trace sa voie
Le 21 juin 2025, plus de 300 jeunes venus de toute l’Europe se sont réunis à Paris, dans l’auditorium Jacques Delors de la Banque de France, pour la 5e édition de la Conférence Jacques Delors. Un lieu symbolique, où Delors fit ses premiers pas en 1944, pour une édition elle-même historique : celle du centenaire de sa naissance.
Photos par © Leslie Rosenzweig

Héritage et promesse : un moment charnière
Placée sous le thème « Renforcer le marché unique pour un avenir durable et prospère pour les citoyens », la conférence a été ouverte par François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, et Sylvie Matelly, directrice de l’Institut Jacques Delors. Monsieur Villeroy de Galhau a posé une question centrale dès l’ouverture : « Célébrons-nous aujourd’hui l’héritage magnifique de Jacques Delors pour l’Union européenne, ou tenons-nous également une promesse pour son avenir ? »
Rappelant l’audace de Jacques Delors en 1985, qui avait fixé des échéances concrètes pour bâtir le marché unique puis la monnaie unique, François Villeroy de Galhau a proposé une nouvelle date mobilisatrice pour « construire la souveraineté économique et financière [de l’UE]. »
Face au désordre du monde, il a défendu une stratégie de sursaut, appelant à sortir de la « tétanie » pour entrer dans une mobilisation générale, selon la méthode Delors : vérité, unité, volonté.

Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne en charge de la prospérité et de la stratégie industrielle, a poursuivi dans la même veine, en prônant à la fois l’ouverture du marché intérieur et sa protection.
À ses yeux, renforcer la souveraineté européenne passe par deux nouveaux consensus. Un consensus commercial, combinant diversification des accords et protection intelligente face à la Chine ou aux menaces tarifaires des États-Unis. Un consensus industriel, en renforçant le marché unique à travers une approche sectorielle et stratégique.
Il a annoncé une réforme des marchés publics européens à venir d’ici fin 2025 – début 2026, permettant d’y introduire des clauses de préférence européenne dans des secteurs clés (recyclage, automobile, sécurité…). S’il a assumé des mesures de simplification réglementaires légitimes – permettant une flexibilité pour réagir à l’actualité internationale et aux effets de marché –, il a aussi averti contre toute tentation de reculer sur le Pacte Vert : « La décarbonation est aussi une stratégie économique. Il ne faut pas lâcher nos objectifs ni nos valeurs, mais plutôt les renforcer, dans nos textes comme dans nos ambitions. »

Une génération engagée face aux décideurs
Lors d’un moment fort, quatre jeunes de l’Académie Notre Europe – Martin Samiez, Sonia Nemri, Pia Dolesch & Daniel Rodriguez-Salvana – ont interpellé M. Séjourné sur les grands défis européens :
- le commerce transatlantique à l’ère Trump,
- la compétitivité industrielle et les investissements nécessaires,
- le Pacte vert face aux tensions politiques,
- la défense européenne et son financement.
Une démonstration d’engagement et de dialogue, et un reflet de l’esprit de Jacques Delors : penser et construire l’Europe par et avec les citoyens.

Compléter le marché unique : le regard des experts
La conférence s’est poursuivie avec une table ronde d’experts de haut niveau :
Enrico Letta, Arancha González Laya, Pascal Lamy et Geneviève Pons, modérée par Caroline de Camaret (France 24).
Enrico Letta a plaidé pour l’adoption d’un « 28e régime » juridique européen, optionnel, pour contourner la fragmentation des droits nationaux, et a souligné que l’union des épargnes et des investissements est le levier central pour relancer la compétitivité. Il a également défendu l’idée d’ajouter une 5ème liberté au marché unique, celle des connaissances, de l’innovation et de la recherche.
Pascal Lamy a averti que l’intégration européenne est aujourd’hui menacée de déclin – reprenant les mots de Jacques Delors – coincée entre une faiblesse économique par rapport aux autres économies mondiales et une montée de l’extrême droite en Europe sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale. Le marché unique reste notre meilleur levier de croissance – à condition de le compléter, notamment pour les services et l’énergie. Il a notamment désigné comme une des priorités la nécessité de conjuguer décarbonation et baisse des prix de l’électricité, condition indispensable pour restaurer la confiance des citoyens dans l’UE.

Arancha González a rappelé que le marché unique ne pouvait être dissocié de la politique commerciale extérieure : les deux sont des « jumeaux », intimement liés. Elle a mis en garde contre les tensions géopolitiques qui fragilisent la politique commerciale de l’UE, en particulier avec les États-Unis et la politique de Donald Trump. Madame González a appelé à faire bloc avec le reste du monde – 87 % du commercial mondial – pour préserver un ordre international basé sur des règles et non des transactions.
Geneviève Pons a rappelé que Jacques Delors avait dès l’Acte unique intégré la dimension environnementale dans le projet de marché intérieur, en y inscrivant des principes fondateurs comme le pollueur-payeur ou la prévention. Elle a plaidé pour un véritable marché européen de la finance verte, avec des investissements massifs dans les interconnexions énergétiques, l’économie circulaire et les produits recyclés. Pour elle, le marché unique peut et doit devenir le levier d’un nouveau modèle d’investissement durable face à l’urgence climatique.

Une génération célébrée : remise des certificats à la promotion Éliane Vogel-Polsky
Moment de fierté : la remise des certificats à la promotion Éliane Vogel-Polsky de l’Académie Notre Europe, en présence de Sofia Fernandes, directrice de l’Académie, et d’Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors.
Sofia Fernandes a salué l’engagement d’une jeunesse « lucide, exigeante et profondément européenne », qui pendant un an a débattu, négocié, créé et réfléchi à l’avenir du projet européen. À l’Académie, a poursuivi Enrico Letta, « vous avez appris à voir le sens collectif de vos engagements. Et c’est cela qui donne de la force à ce que vous faites — et à ce que vous ferez demain ».
Un tonnerre d’applaudissements a retenti pour les jeunes lauréats et lauréates, sur place comme à distance.

L’Europe en action : forum pédagogique
Les participants ont pu découvrir un forum pédagogique vivant, rassemblant associations, institutions et acteurs engagés dans la construction européenne au quotidien. L’occasion pour les jeunes présents d’explorer les nombreuses opportunités concrètes offertes par l’Union européenne, à travers des ateliers interactifs, des échanges informels et des supports ludiques.
Les partenaires présents sur le forum : Erasmus+ France Jeunesse & Sport, Erasmus+ France Education et Formation, Le Parlement européen en France, La direction Europe du département de la Seine-Saint-Denis, Les Jeunes Européens – France, Les alumni de l’Académie Notre Europe, Europe Jacques Delors, Le Réseau européen des migrations.

L’Europe en scène : une création théâtrale engagée
La journée s’est conclue par un moment fort en émotion : la représentation de « Delors entre nos mains — Le flambeau de l’architecte », une création originale écrite et mise en scène par Julien Avril avec les jeunes de l’Académie Notre Europe.
Conçue à l’occasion du centenaire de la naissance de Jacques Delors, cette pièce rend hommage à l’héritage politique et intellectuel de Jacques Delors, en revisitant ses grandes idées – union économique, justice sociale, démocratie, solidarité – et la vision européenne qu’il a portée avec tant de clarté et de conviction. À travers une écriture collective et engagée, les jeunes interrogent ce que signifie, aujourd’hui, reprendre le flambeau de celui qui a contribué à transformer l’Europe.

« C’est le moment de voir que l’on peut faire du théâtre avec des questions politiques, sociétales, environnementales, économiques. Ça parle d’Europe 🌍, c’est du théâtre 🎭, et ça vaut la peine de venir voir pour découvrir tout ce que les jeunes ont à raconter sur l’Europe. »
— Julien Avril, auteur et metteur en scène
Pensée par les jeunes, pour les jeunes, cette œuvre incarne la volonté forte de raconter l’Europe autrement, à travers l’art et la scène, en portant une parole neuve, politique, poétique et vivante sur son avenir.
Pour conclure, Christine Verger, Vice Présidente de l’Institut Jacques Delors, a salué une représentation qui se suffisait à elle-même comme « la plus belle conclusion possible » à cette journée, soulignant la portée exceptionnelle d’un hommage théâtral porté par des jeunes à une figure politique. Elle a appelé à faire vivre ce travail bien au-delà de la scène, comme outil de transmission de l’esprit de Delors et de mobilisation de la jeunesse européenne.
Vive l’action et la pensée de Jacques Delors, vive l’Europe, vive la jeunesse !
